La création du Musée des moulages de Lyon


La création du Musée des moulages de Lyon

« Le Musée des Moulages doit, par une réunion d’œuvres choisies, dont chacune a son intérêt en elle même, ou relativement à ses voisines, présenter une vue complète de ce qu’a été la sculpture depuis ses origines jusqu’à son terme » (1).

Ainsi s’exprimait Henri Lechat (1862-1925), premier directeur du Musée des Moulages de l’Université de Lyon, le jour de la leçon inaugurale consacrée à ce musée le 19 décembre 1898. L’intérêt pédagogique de cette gypsothèque (2), telle qu’on l’appelait alors, n’avait d’égal que l’espoir immense de reconstituer une partie de la Grèce Antique. Comme si, sur les bords du Rhône, et plus précisément au deuxième étage de la Faculté de Droit et de Lettres construite par Abraham Hirsch, s’élevait, à nouveau, un sanctuaire hellénique inondé de statues. Cette poétique et romantique métaphore ne peut que nous renvoyer aux textes des auteurs anciens, tel Pausanias, qui nous décrivait l’Altis d’Olympie, rempli d’innombrables chefs-d’oeuvre.
Le Musée des Moulages de l’Université de Lyon n’est pas un cas isolé car la seconde moitié du XIXe siècle a vu fleurir des gypsothèques, un peu partout en France, en Italie et aux États-Unis, mais essentiellement en Allemagne. Les musées complétaient leurs prestigieuses collections d’authentiques, par des moulages en plâtre sans indiquer au visiteur qu’il avait à faire en réalité à des copies…
Parallèlement, les plus grandes universités européennes, aménageaient elles-aussi un espace pédagogique composé de reproductions en plâtre. L’avantage pour les étudiants et les professeurs était immense car il n’y avait plus besoin de se déplacer. L’outil de travail était à portée de main, sans oublier que les principales sculptures de l’histoire de l’art pouvaient être embrassées d’un seul regard. Ce raccourci spatiotemporel, impossible avec les originaux, a fait le succès de ces gypsothèques universitaires, nationales ou internationales, notamment lors des expositions universelles.
Rotonde du premier Musée des moulages (archives du Musée)

A Lyon, l’initiative en revient en 1893 à Louis Liard, alors directeur de l’Enseignement Supérieur, et à Maurice Holleaux, professeur d’histoire ancienne. Ce dernier, inspiré par ses nombreux séjours en Grèce, se voit confier l’organisation et la création du Musée des Moulages de l’Université de Lyon. Dès 1894, des subventions sont récoltées auprès du Ministère de l’Instruction Publique (50.000 francs), du Conseil Général du Département du Rhône (3.000 francs), et de la Société des Amis de l’Université Lyonnaise (1.150 francs) (3). Ces subventions prenaient parfois la forme de dons de moulages. Précisons aussi qu’à Lyon, il n’était pas prévu d’atelier de fabrication de moulages car tout devait être acheté. Très vite aussi, Maurice Holleaux, avec l’appui de Léon Clédat, doyen de la Faculté, prirent contact avec Abraham Hirsch, architecte en chef de la Ville de Lyon, en charge de la construction de la Faculté de Droit et de Lettres. L’enjeu était de taille, puisque les plans devaient prendre en compte la scénographie du Musée, qui se voulait bien plus imposante que ce qui avait été initialement prévu. Ainsi, l’idée du grenier, sous la toiture de l’université, disparaît des plans de l’architecte, pour laisser la hauteur nécessaire à l’accueil des moulages dépassant parfois les 2 mètres (4). L’ouverture le 19 décembre 1898 d’une chaire d’Histoire de l’Art à l’Université de Lyon, conforte l’intérêt et la nécessité de la collection de moulages. Quelques mois plus tôt, le 1er mai 1898, le Musée passait sous la direction d’Henri Lechat, titulaire de la chaire d’Antiquités Grecques et Latines, ancien membre de l’École Française d’Athènes. Non sans saluer le travail de Maurice Holleaux, Henri Lechat prend la relève en complétant les achats de moulages et la réflexion scénographique : « C’est lui (M. Holleaux) qui arrêta le plan général d’installation, qui dressa les premières listes d’achats, les plus longues, comprenant environ les trois quarts des pièces actuellement réunies. Quand je lui succédai, les salles VIII et IX étaient entièrement prêtes, et plusieurs des salles voisines étaient déjà assez avancées. Je désire qu’on n’oublie pas tout ce que M. Holleaux a fait pour le musée et dans le musée. En ce qui me concerne, je me bornerai à dire que j’y ai aussi beaucoup travaillé » (5).

Neuf salles, dont une rotonde, toutes éclairées par le haut, composent le Musée des Moulages de Lyon, imaginé dans un style néo-classique (parquets brillants et murs rouges pompéiens). Une dixième salle sert à abriter les collections de photographies, de la bibliothèque issue du fonds Salomon Reinach, et d’un cabinet pour le directeur. Mis bout à bout, l’ensemble du musée s’étend sur une longueur de 130 mètres pour une largeur moyenne de 10 mètres. Cet espace est loin d’être superflu puisque pas moins de 1.000 moulages composent la collection du Musée, classés par période, école ou par genre. Mais il faut rappeler que chacune des découvertes archéologiques, fort nombreuses à cette époque, remettait en cause la scénographie initiale du musée.

L’astucieux Henri Lechat avait trouvé la parade : « Pour faciliter le remaniement des salles, à quoi oblige toujours plus ou moins l’arrivée de moulages nouveaux, et surtout afin de rendre plus commode l’étude des oeuvres, au cours des leçons faites aux étudiants, tous les socles (sauf pour les statues d’une taille colossale et d’un poids exceptionnel) sont montés sur roulettes et peuvent être déplacés et tournés sans effort » (6). Cette citation nous rappelle l’obsession pédagogique menée par Henri Lechat. Ainsi, il souhaita teinter la blancheur des moulages en plâtre pour parfaire l’imitation du marbre, du bronze, de la terre cuite, de l’argent ou de l’or. Aussi, des photographies, des dessins et des aquarelles (7), complètent la scénographie pour contextualiser les moulages (soit in situ, soit en reproduction ou en intégralité). Un an après l’inauguration officielle du Musée qui a lieu le 19 juin 1899, ce dernier obtint la Médaille d’Or des musées de province, récompense décernée à l’occasion de l’Exposition Universelle de Paris. A cette occasion, l’Université de Lyon se voit attribuer le moulage du Sphinx des Naxiens, qui venait d’être découvert à Delphes. L’intérêt de la collection lyonnaise de moulages devait continuer de croître tout au long de la direction d’Henri Lechat (8) : acquisitions, inventaire et catalogage… Dans les années 1930, malgré l’achat de pièces médiévales qui viennent compléter la collection antique, l’enthousiasme décroît. Les nouvelles règles muséographiques et les exigences d’authenticité chassent les moulages des musées et du système pédagogique universitaire.

Le manque de place dans les universités et le rejet de l’académisme dès 1968 portent un sérieux coup à la collection. Toutefois, à Lyon, contrairement à d’autres villes, le coup ne sera pas fatal. L’héritage de ces quelques mille moulages, aujourd’hui transmis à l’Université Lyon 2 et présentés dans un nouveau bâtiment dans le 3e arrondissement (9), n’est plus au centre de la réflexion pédagogique comme il y a un siècle, mais plutôt comme un support créatif à l’art contemporain, sous toutes ses formes.

Sylvain BOUCHET.
Article Publié dans le BMO de la Ville de Lyon, 2009 (droits réservés)

(1) Archives du Musée des Moulages de l’Université de Lyon.
(2) Le plâtre, matière première des moulages, est composé de gypse, d’où le nom de gypsothèque pour qualifier un musée de moulages.(3) Henri Lechat, « Catalogue Sommaire du Musée de Moulages », Lyon, A. Rey, 1903, p. V.
(4) Archives Municipales de Lyon, 478 WP 8.
(5) Lechat, op. cit., p. VI.
(6) Lechat, op. cit., p. VIII.
(7) Réalisés par M. Courby, élève d’Henri Lechat.
(8) Jusqu’à son décès, survenu en 1925.
(9) 3 rue Rachais dans le quartier de la Part-Dieu, après un bref séjour
dans les anciens locaux de l’École de Santé Militaire, avenue Berthelot.